Bar-le-Duc, berceau des Essais de Montaigne?

Vie et enseignement de Montaigne

Les habitants de Bar-le-Duc connaissent tous, sans doute, la célèbre appréciation de Montaigne à propos du collège Gilles de Trèves : « La plus belle maison de ville qui soit en France, de la plus belle structure ». Ce jugement est formulé alors que le bâtiment vient d’être achevé, en 1580, et cité dans le Journal de Voyage en Italie, qui ne fut retrouvé et publié qu’en 1774, ce qui fait que pendant deux siècles, la France ignora de quel trésor elle disposait dans le Barrois mouvant !

Ce collège est l’ancêtre de notre Lycée impérial ; nous lui devons donc affection et respect. Ainsi que la déploration de la destruction de sa façade principale, au XIXe siècle… Mais il reste la magnifique cour intérieure, récemment restaurée.

Mais ce n’est pas tant à Gilles de Trèves que cet article veut s’intéresser, qu’à Montaigne lui-même.  Avant ce long voyage de 1580, qui allait le mener de Bordeaux à Rome en passant par Paris, l’Est de la France, l’Allemagne et la Suisse, il était déjà venu à Bar-le-Duc, pour une visite qui, finalement, s’avéra peut-être beaucoup plus importante, fondatrice même, si ce n’est pour notre ville, en tous cas pour la littérature française.

Cela se passe vingt ans auparavant, en 1559. Marie Stuart, Barisienne par sa mère (on l’ignore trop !), est l’épouse du roi de France François II, qui vient d’être sacré à Reims. Tous deux, ainsi que Catherine de Médicis, mère du roi, la reine d’Espagne, le roi du Navarre (père du futur Henri IV), Henri de Guise (lui-même Barisien, futur chef de la Ligue, qui finira mal au château de Blois), et plusieurs autres membres du gotha européen, sont accueillis à Bar par le Duc de Lorraine Charles III, dont François II est le beau-frère (vous me suivez ?). De somptueuses fêtes sont données pendant plusieurs jours. Or, dans la suite du roi de France figure le jeune… Michel de Montaigne.

Ici, il faut se reporter au passionnant ouvrage de Jean Lacouture, Montaigne à cheval, qui nous dit ceci : « Les Essais portent trace de ce voyage, et de première importance. « Je vis un jour, ­[écrit Montaigne], à Bar-le-Duc, qu’on présentait au roi François second, pour la recommandation de la mémoire de René, roi de Sicile, un portrait qu’il avait lui-même fait de soi. Pourquoi n’est-il loisible de même à un chacun de se peindre de la plume, comme il se peignait d’un crayon? » Le « sot projet qu’il eut de se peindre », comme devait l’écrire plus sottement Pascal, est-il né à Bar-le-Duc? Les Essais nous viennent peut-être de cette escapade lorraine. »

Ainsi donc, selon cette conjecture de Jean Lacouture, Bar-le-Duc possèderait non seulement « la plus belle maison de ville qui soit en France », mais aussi la paternité indirecte d’un ouvrage qui révolutionna la littérature et prit une place jamais démentie dans l’histoire de la philosophie. Jamais sans doute l’œuvre de Montaigne n’a suscité plus d’attention qu’aujourd’hui. Pour preuves, parmi d’autres, la suite d’émissions d’Antoine Compagnon sur France-Inter en 2012 : Un été avec Montaigne, reproduite dans un petit livre, et le Dictionnaire amoureux de Montaigne, sous la plume de son lointain mais affirmé disciple André Comte-Sponville, qui vient de sortir en librairie.

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