Discours de Jacques Auboin

Jacques Auboin, Vice-Président de l’Association, exerce actuellement la Présidence par intérim. Il a prononcé le discours ci-après lors de l’Assemblée Générale de 1998, selon une tradition qui consiste à demander à un Ancien Elève ayant eu un parcours professionnel réussi, ou simplement original, d’en faire le récit.

QUELQUES  REFLEXIONS  SUR  MON  PARCOURS  PROFESSIONNEL

Allocution prononcée le 18 octobre 1998 devant l’A.G. des Anciens Elèves

du Lycée Raymond Poincaré de Bar-le-Duc   

Mesdames, Messieurs et chers Condisciples,

Cher M. Jean Bernard, lorsque vous m’avez appelé au printemps pour m’inviter à cette réunion annuelle des Anciens Elèves de notre lycée, vous m’avez dit « J’aimerais que vous nous racontiez comment on réussit une carrière dans le privé ».

Je me sens très honoré d’être parmi vous aujourd’hui et fort ému de me retrouver cinq décennies plus tard dans les souvenirs de ma jeunesse et je vous remercie de cette invitation.

« Comment réussit-on dans le privé ? » : question flatteuse à mon égard mais plutôt embarrassante à traiter dans la mesure où la ‘’réussite’’ – professionnelle ou privée – est une notion très personnelle et subjective.

Aussi me suis-je permis de la reformuler, en espérant ne pas en avoir déformé l’esprit,   de la façon suivante : « Quels facteurs ont permis à un jeune lycéen des années 50 de mener une carrière de Dirigeant dans un grand Groupe privé et international ? », alors que rien, ni dans ma tradition familiale ( une famille de fonctionnaires ) ni dans celle de notre bonne ville de Bar le Duc, ne me prédestinait à emprunter cette voie.

Entré au lycée R. Poincaré en classe de 12ème pendant la guerre, je l’ai quitté en 1953  pour les classes préparatoires du lycée St Louis à Paris et l’« X » deux ans plus tard.

A la sortie de l’Ecole , et à la déception de mon père – fonctionnaire des Ponts & Chaussées qui rêvait de voir son fils intégrer le Corps des Ponts, ce que mon classement de sortie permettait et qui rendit donc mon choix incompréhensible à ses yeux – je choisis de démissionner des Corps d’Etat et, le 1er Octobre 1958, j’entrai à la Compagnie IBM –  de taille modeste à l’époque – où j’ai exercé en 35 ans de multiples fonctions, d’Ingénieur d’abord ( conception de système informatique, technico-commercial ) puis des fonctions de Direction Commerciale et de plusieurs Directions Fonctionnelles, enfin de Direction Générale de Branche ….  et cela à IBM France, à l’Etat-Major International du Groupe près  de New York et à l’Etat-Major Européen à Paris, avec de multiples allers et retours entre ces organismes, ….  puis, en 1993, dans la vision d’une seconde carrière, je me suis établi Consultant en Management d’entreprise.

Bref, une carrière très variée, menée principalement dans le secteur de l’informatique, qui  a connu une expansion fantastique et une transformation continuelle au cours des 4 dernières décennies.

Au-delà de mon cursus personnel, ayant observé de près le déroulement de carrières  de dizaines de Cadres Dirigeants français et étrangers, de formations, compétences   et expériences variées, je voudrais vous faire partager mes réflexions sur les facteurs   qui me sont apparus déterminants dans le déroulement de telles carrières « réussies ».

Ils sont, à mon avis, de deux ordres :

            – une part liée au hasard, aux circonstances et aux imprévus ….

            – une part liée aux qualités propres à l’individu, lui permettant de répondre aux 4 exigences de base de la vie professionnelle :

                        – l’exigence de compétence et de perfectionnement permanent

                        – l’exigence de mobilité et d’adaptation à l’évolution du monde,

                        – l’exigence de comportement responsable et exemplaire,

                        – l’exigence d’amélioration continue de performance et de comportement

LA PART DU HASARD, DES CIRCONSTANCES ET DE L’IMPREVU

Permettez moi d’illustrer ce thème par quelques exemples et souvenirs personnels :

– C’était en juin 1951, à la fin de ma classe de Seconde, M. Benhaim me demanda un jour : « Auboin, je voudrais refondre mon cours de Première, et j’aurais besoin de vous tous   les matins  pendant 5 à 6 semaines cet été pour que vous me serviez de cobaye. Cela vous plairait-il ?». N’ayant pas grand-chose à faire pendant ces vacances, j’acceptai et passai donc mes matinées pendant … plutôt 7 semaines, à prendre en dictée le nouveau cours de maths ! Avant même la rentrée, j’avais vu et assimilé ce cours ( sinon je disais que je ne comprenais pas et il reformulait le texte ) de sorte que je pus consacrer mon temps de l’année scolaire         à faire des exos supplémentaires et à travailler les autres matières, physique / chimie, etc … Mes notes scientifiques explosèrent alors en Première, nous recommençâmes l’année suivante et ainsi,  alors qu’en Seconde ‘’on’’ m’orientait plutôt vers une filière littéraire, je devins un candidat évident aux concours scientifiques …

Si je n’avais pas eu cette chance de faire avec M. Benhaim un entrainement en maths à la Zatopek, j’aurais certainement eu un tout autre cursus, probablement littéraire ; ma carrière en eut-elle été moins réussie ? Nul ne peut le dire, elle eut été en tout cas différente.  

– Entré à l’« X », j’envisageai déjà une carrière dans le privé et plutôt dans l’industrie minière ou métallurgique ( influence de l’environnement lorrain ! ) .. Un soir, au cours de la première année, je déambulais dans les couloirs de l’Ecole ne sachant trop quoi faire – le Ciné Club était fermé, mes partenaires de bridge occupés – lorsque je tombe sur un Camarade de seconde année qui, me voyant comme une âme en peine, me dit : « Il y a ce soir un ‘’ Amphi Retap ‘’ avec des gens d’IBM, c’est une bonne boite, vas-y, c’est très intéressant » … J’y allai donc, les 2 anciens X d’IBM furent tellement enthousiastes et convaincants ( j’ignorais alors tout de la ‘’ mécanographie ‘’ de l’époque et d’IBM ) que je m’inscrivis à un stage pour l’été suivant … première étape modeste vers un parcours de 35 ans ! Que se serait-il passé si le Ciné Club avait été ouvert ce soir là ou si mes partenaires de bridge avaient été libres ?   

– Quelques années plus tard, en 1963 si je me souviens bien, j’étais responsable du projet IBM d’informatisation des Chèques Postaux Français et je rendais visite au Directeur de Cabinet du Ministre des PTT ( je connaissais ce Directeur dans ses fonctions antérieures à la Direction des Chèques Postaux ) quand le Ministre, M. Marette, entra dans le bureau.

Le Directeur de Cabinet me présenta au Ministre qui me dit alors : « Vous tombez bien, il y a longtemps que je veux essayer de comprendre ce qu’est un ordinateur, j’ai un quart d’heure de libre, venez dans mon bureau et expliquez moi ! » … pas question de tergiverser, aussi, comme dans un impromptu au théâtre, je me retrouvai, sans aucune préparation, à faire un cours d’ordinateur en 20 mn au Ministre qui déclara savoir désormais tout sur le sujet ! Heureusement les ordinateurs de l’époque étaient plus simples que maintenant ! En tout cas, cet événement fortuit facilita les choses lorsque, quelques mois plus tard, avec le Président d’IBM France, nous eûmes à défendre devant le même Ministre notre projet contre ceux de la concurrence, et j’eus d’ailleurs à expliquer à mon Président, assez vexé, pourquoi le Ministre s’adressait plus à moi, simple ingénieur, qu’à lui pendant la séance ! Finalement, nous gagnâmes le contrat, énorme à l’époque, sans aucun doute parce que notre projet était le meilleur mais le ‘’cours’’ initial et imprévu contribua, j’en suis persuadé, à cette heureuse issue, qui influença ma carrière de façon très positive.       

– Une aventure similaire et aussi impromptue se produisit quelques 20 ans plus tard avec     le Président d’IBM Mondial qui me confia sur le champ une mission d’ « avant garde » qui, elle aussi, eut une influence positive sur la suite de ma carrière.       

 Tout cela pour dire au-delà des anecdotes qu’à l’évidence, de tels évènements sont des aiguillages essentiels dans le déroulement d’une carrière qui, privée ou publique mais surtout privée, n’est jamais entièrement planifiable et qui est toujours largement influencée par cette part du hasard, des circonstances et de l’imprévu – encore faut-il savoir reconnaître et saisir les opportunités qui peuvent en découler.

L’EXIGENCE DE COMPETENCE ET DE PERFECTIONNEMENT PERMANENT

Entre 1958 et 1993, l’informatique et IBM connurent une évolution fantastique : de quelques gros systèmes centraux à plusieurs millions de micros – entrainant une « massification »   de la production, de la distribution et de la formation des utilisateurs. IBM est passée dans le monde de 50 000 à 400 000 puis à 250 000 employés, et en France de 2 000 à 25 000 puis à 14 000 collaborateurs : imaginez les défis qui se sont posés à tous les collaborateurs de la Compagnie – et à ses Cadres notamment – pour s’adapter à cette évolution fantastique permanente !

Le premier défi est bien sûr d’éviter la perte de compétence, le danger majeur de tous les Cadres supérieurs et dirigeants, qui se concrétise par une tendance à la « gestion administrative » des hommes et des fonctions et qui entraîne de plus en plus souvent la mise à l’écart et le chômage …. Le remède ? c’est le perfectionnement permanent, qu’il concerne     la technique ou le management, par la participation à des cours et séminaires de bonne réputation ( j’ai suivi personnellement les programmes de perfectionnement de l’Université      de Géorgie aux USA et de la Business School IMD de Lausanne ) et par l’effort personnel pour garder la compétence technique indispensable à l’exercice de son métier : et ceci passe  par le suivi de cours, la lecture et la pratique des nouvelles techniques, encore et encore et toujours …..

L’EXIGENCE DE MOBILITE ET D’ADAPTATION A L’EVOLUTION DU MONDE

Outre l’adaptation à l’évolution des techniques dont je viens de parler, l’adaptation à l’évolution du monde et de son environnement culturel et social est devenue une obligation pour tous ceux et toutes celles qui exercent ou prétendent exercer des responsabilités importantes dans un Groupe économique ou social, si ces Responsables ne veulent pas se couper de la vie et des problèmes du Groupe et veulent garder le respect et la considération des autres membres, collègues et collaborateurs, respect et considération sans lesquels le titre ou la fonction nominale ne sont que des coquilles vides.

Il faut lutter en permanence contre la tendance naturelle de chaque individu à la sclérose, au refus de la nouveauté et du changement, tendance présente chez tous même si le degré varie selon les personnalités, il faut lutter contre les « modèles figés » de pensée, les grilles de lecture des évènements et du monde extérieur qui se forment puis se figent alors que le monde et ses exigences continuent de se transformer à toute allure.

Mobilité intellectuelle et mobilité géographique vont souvent de pair et se complètent heureusement pour continuer à vivre et à agir en phase avec son temps sans en épouser nécessairement toutes les modes éphémères. Les carrières mono-pays, mono-employeur, rectilignes – propices à la sclérose et au refus d’évoluer – se font de plus en plus rares et sont de moins en moins populaires auprès des employeurs comme auprès des cadres : lorsqu’on a tenu en 35 ans 13 postes de natures très variées, embarqué sa famille pour 2 ans aux Etats Unis, quitté à 57 ans une très grande Société pour démarrer une activité de Consultant indépendant auprès de PME, je peux vous affirmer que l’on se sent bien, disponible, confiant et prêt à affronter encore beaucoup de défis … et de concurrence dans de nombreux aspects de la vie professionnelle.     

L’EXIGENCE DE COMPORTEMENT RESPONSABLE ET EXEMPLAIRE

J’ai eu la chance de travailler dans une Compagnie qui avait établi des règles rigoureuses d’éthique dans la conduite des affaires et la gestion de son personnel et je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre donner des leçons à qui que ce soit dans ce domaine … d’autant que je sais que dans certains secteurs et dans certains pays, d’autres « pratiques » sont estimées nécessaires à la conclusion et au traitement des affaires : plusieurs de mes relations ont dû composer avec ces pratiques et je sais qu’ils n’en étaient pas heureux tous les jours …. Mais comment ne pas déplorer profondément que de telles pratiques dégénérées se répandent dans les pays développés et pis, dans notre propre pays !

Elles doivent être, de mon point de vue et je mesure mes mots, purement et simplement éradiquées, sans faiblesse et sans excuse … sinon, quel exemple et quelles valeurs transmettons-nous à nos enfants !

L’EXIGENCE D’AMELIORATION CONTINUE

Du fait que la critique – qu’elle vienne d’autrui ou de soi – est nécessairement subjective,  la tendance naturelle de prime abord est, comme pour le changement, le refus ou au moins la résistance. Or, accepter la critique – quitte à la filtrer à travers une analyse et une réflexion à froid – est la seule façon de progresser, en partant du double axiome 

            – que ce que l’on fait n’est jamais parfait,

            – mais que si l’on n’atteint jamais la perfection, il y a une route qui y conduit et « l’amélioration continue ». 

C’est de façon schématique le principe fondamental de la Qualité, qu’elle concerne  les réalisations techniques, les organisations humaines ou tout simplement chaque individu dans tous les aspects de sa vie. Ayant travaillé dans mon poste de Directeur de la Qualité avec des Américains, des Européens de nombreuses nationalités et des Japonais, il m’est apparu qu’il y a deux approches assez distinctes dans l’amélioration de la qualité :

– une approche occidentale basée sur des  « bonds » successifs liés souvent à des changements profonds de la technique ou de l’organisation : elle se caractérise un intervalle de temps important ( parfois plusieurs années ) entre les bonds et on observe souvent un relâchement  de l’effort d’amélioration dans l’attente de la phase suivante,

– une approche japonaise dite « incrémentale » – succession de nombreuses petites améliorations de tous ordres – basée sur la philosophie Kaisen selon laquelle tout aspect de l’être humain et de l’activité humaine est perfectible par petites touches continuelles.

La mise en oeuvre et la comparaison de ces deux approches dans l’industrie automobile est un exemple classique qui a fait l’objet de multiples articles dans la presse : changements de modèles révolutionnaires tous les 5 / 7 ans en Europe, modèles constamment évolutifs  par petites touches au Japon. L’idéal serait, bien sûr, de combiner ces deux approches  mais l’expérience montre que la barrière des cultures permet rarement le succès de cette combinaison ; cependant, l’approche Kaisen, appliquée à tous les aspects de la vie, privée comme professionnelle, mérite certainement une grande attention.      

Comment notre Lycée m’a-t-il préparé à affronter ces défis et à répondre à ces exigences ?

… en me fournissant le « socle de base » des acquits essentiels, non pas les connaissances enseignées ( maths, philo, allemand, … ) qui ne m’ont pas servi directement, mais des acquits plus fondamentaux qui ont façonné ma personnalité et ma démarche dans la vie : la rigueur du raisonnement, le goût de l’effort et la satisfaction du travail bien fait, le goût d’apprendre,   le respect des règles et la reconnaissance du mérite, vertus fondamentales républicaines.  Je suis profondément reconnaissant à l’école de la République, au lycée comme à l’ « X », d’avoir rempli, en ce qui me concerne, ses deux rôles essentiels : l’enseignement de connaissances de base et l’éducation de la personne.

De cela je suis redevable à tous mes maîtres, instituteurs et institutrices du primaire comme professeurs du secondaire et du supérieur. J’ai une gratitude particulière envers plusieurs d’entre eux, même si je suis conscient d’être injuste envers ceux que je ne cite pas :

MM. Benhaim et Pierre pour les sciences, Doignon et Lix pour les lettres et la philo, Bernard et Nicolas pour les langues, Lalin et Simon pour l’histoire-géo, sans oublier nos profs de gym Arnould et Pierre qui nous apprenaient à coups de sifflet et à coups d’expulsion, et même à coups d’autres sortes, le fair-play en sport ! 

… et puisque rien n’est parfait et que le progrès procède de la critique, je voudrais exprimer    un regret sur le système éducatif de l’époque ( a-t-il d’ailleurs beaucoup changé depuis ?) :    on nous inculquait que la réussite dans la vie dépendait de la réussite aux examens et aux concours, qui conditionnaient ainsi toute notre vie future ; examens et concours le plus souvent anonymes et ne portant que sur les connaissances, en ignorant totalement la part de l’aléatoire, de la personnalité et du comportement …. dont j’ai tenté de vous montrer l’influence considérable sur le déroulement d’une carrière.

Là, je pense que nous étions insuffisamment préparés aux conditions réelles de la vie, peut-être du fait de la tradition administrative française, où les concours impersonnels et leur hiérarchie rigide conditionnaient et continuent de conditionner le déroulement des carrières « à la française ». Cela a toujours été pour mes collègues étrangers, un sujet de grand étonnement et sans admiration excessive de leur part, je dois dire.

Finalement, que conclure ?

Si je reviens maintenant à votre question initiale, cher Monsieur Bernard, ai-je réussi ma carrière professionnelle ? Sans hésitation, je réponds « oui » ….

… non pas parce que j’ai atteint tel ou tel poste, tel ou tel salaire, telle ou telle position sociale même si ces facteurs sont loin d’être négligeables,

… mais parce qu’en 40 années de vie professionnelle, j’ai été heureux pendant plus de 35 ans y compris dans mon activité actuelle, j’ai exercé des fonctions variées dans des activités diverses, j’ai appris tout le long de ma vie et j’ai encore envie d’apprendre. 

Tout cela m’a donné une confiance forte dans ma capacité à m’adapter à l’évolution du monde extérieur, à acquérir de nouvelles connaissances et à maîtriser les nouvelles techniques nécessaires à ce que j’ai envie de faire, et donc une confiance forte dans ma capacité à continuer de PROGRESSER et à continuer d’agir en PROFESSIONNEL, comme je me suis toujours efforcé de le faire avec, je pense, quelque réussite.

……  PROFESSIONNALISME : voilà, je crois, le maître-mot sur lequel je voudrais terminer cette série de réflexions que votre question, telle une boite de Pandore, a ouvertes, en lisant un court extrait d’un livre paru au début des années 80  « Les mille sentiers de l’avenir »     du Pr Lesourne et qui n’a pas pris une seule ride en vingt ans …..

( chapître FORMER ET INFORMER )

« …. Etre un professionnel, cela signifie connaître, par la main et par l’esprit, toutes                    les subtilités de son métier, n’ignorer aucune des techniques envisageables, être attentif à s’informer constamment sur les nouveaux perfectionnements, être en mesure d’innover,     être capable de concevoir, d’entreprendre, d’achever toutes les tâches que ce métier implique. Contrairement à ce que voudraient nous faire croire les balivernes des adeptes des idées générales, un professionnel n’est jamais un robot qui répète mécaniquement des gestes préprogrammés. Qui a su être un professionnel au début de son existence le reste souvent toute sa vie, même s’il change de métier. Aussi n’y a-t-il nulle contradiction entre cet appel au professionnalisme et la constatation que demain la formation durera toute la vie et que la plupart des hommes et des femmes exerceront successivement plusieurs métiers.

Pourquoi cet appel au professionnalisme ? Parce que à long terme, le seul atout incontestable de la France dans la compétition internationale, réside dans la capacité de ses hommes et de ses femmes à travailler ensemble comme des professionnels ; les Français et les Françaises de ta génération, mon fils, seront en concurrence avec les Chinois de Singapour, avec les biologistes américains, avec les ouvriers des faubourgs de Santiago et de Rio, avec les universitaires japonais, avec cette multitude d’hommes et de femmes dévorés par l’appétit de savoir et de faire, brûlés par le désir d’améliorer leur condition, tendus par la volonté de se prouver quelque chose à eux-mêmes.

Professionnalisme et ouverture au monde supposent que l’on s’affranchisse du vieux débat anachronique entre ‘’ têtes bien faites ‘’ et ‘’ têtes bien pleines ‘’, ce débat inspiré par l’un des textes les plus dépassés de Montaigne, parce qu’il fut écrit avant l’essor de la pensée scientifique. Comme si des têtes insuffisamment pleines pouvaient être bien faites, dans l’incapacité où elles seraient de s’organiser en combinant des matériaux, donc du savoir ! Il faut aussi jeter aux orties cette vieille idée française que la culture, attestée par le diplôme, confère la compétence professionnelle, cette idée qui oblige actuellement tant de jeunes à accumuler des diplômes de connaissances générales pour avoir accès aux nids douillets, mais rares, de postes administratifs dont le contenu n’a pas changé ! Tel est le piège où nous enferme  progressivement la conjonction de l’oligopole social, de l’extension du chômage et de la perversion de notre enseignement. Loin de moi l’idée de bannir l’accession à la culture, ce moyen qui permet à chacun de se découvrir et de se réaliser. Toute société à haut niveau de vie a le devoir de faire de son extension à tous l’un de ses objectifs principaux, mais croire que la culture engendre le professionnalisme et assure automatiquement l’ouverture sur le monde extérieur est une aberration. Il vaudrait mieux pour l’avenir de la société française qu’elle le réalisât au plus vite.

Vive la compétence, mais il faut la compléter par l’ouverture au monde. Que nos adolescents soient des prématurés psychologiques présente des avantages et des inconvénients ;  en revanche, que nous les ayons transformés en nains sociaux risque de les livrer aux agressions du monde qui se prépare. Un retour en force dans les programmes de l’histoire et de la géographie, de l’économie, de l’initiation politique s’impose. Il faut qu’ils puissent se forger une grille de lecture du monde, en s’appropriant à nouveau leur passé,  en connaissant la genèse et les évolutions des autres grandes civilisations, en se situant dans l’espace et dans le temps pour comprendre les autres cultures, percevoir l’œuvre du temps dans la fermentation de la pâte sociale, prendre conscience de l’essor et du déclin des groupes humains. Cela suppose l’assimilation de dates, de chiffres, d’enchaînements précis, car il n’y a pas de grande construction sans échafaudage, et il faut savoir placer Louis XIV avant Napoléon pour insérer dans leur cadre les relations de la Chine et de l’Europe. Une autre nécessité : la connaissance des langues, la sienne d’abord sans le maniement de laquelle la pensée s’atrophie, les étrangères ensuite, indispensables pour communiquer        et échanger ….. »  ( fin de citation )

Vous aurez certainement noté la grande concordance entre les conclusions tirées de mon expérience personnelle et celles exprimées par le Pr Lesourne dans l’extrait de son livre ; n’épiloguons pas plus sur le sujet, c’est maintenant le moment de partager le plaisir de nous retrouver ensemble, merci de votre attention, cela a été une grande joie pour moi de pouvoir exprimer devant vous et publiquement les valeurs qui me paraissent fondamentales et indémodables dans la société française, et le rôle que doit jouer l’école de la République dans leur transmission aux générations successives …     

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