Une cérémonie d’autrefois: la distribution des prix…

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Une distribution des prix en 1960

Les moins jeunes d’entre nous, disons les sexagénaires et au-delà, se souviennent de la cérémonie de la distribution des prix du Lycée. Celle-ci cessa après Mai 68, les prix ayant disparu en même temps que les classements. On n’est pas obligé de regretter ces rituels quelque peu empesés… mais avec le recul, ils ont pris la patine des vieilles choses, aimables parce que vieilles… et plus encore si l’on remonte au début du XXe siècle, comme le fait ici, avec un sourire en coin, Pierre Gaxotte, célèbre historien, membre de l’Académie française.

On notera au passage qu’au cours de la cérémonie où il revint bien plus tard, en 1953, pour la présider cette fois, et dont il parle à la fin de cette page de souvenirs, il remit le prix de l’Association à… Jacques Auboin, qui n’est autre que l’actuel président par intérim de celle-ci. La continuité est assurée ! Qu’aurait dit Pierre Gaxotte de se retrouver sur un site Internet, lui que la disparition des uniformes en 1953 plongeait déjà dans la nostalgie des années 10 ? (1910, bien sûr…).

            « En ce temps-là il n’en allait pas en France comme à présent. L’Université n’était point menacée chaque semaine d’une nouvelle réforme. Elle était respectée, sûre d’elle-même, libérale et magnifique. Les distributions des prix (qui avaient lieu le 31 juillet) se faisaient non point à la sauvette, mais avec solennité, indice d’une conscience paisible.

 Dans la seconde cour de notre lycée, on dressait une vaste tente, couverte de coutil rouge et blanc, ornée de portières à glands d’or et décorée de plantes vertes. Tout au fond, adossée à la chapelle, s’élevait, drapée de rouge, une estrade majestueuse, à laquelle conduisait un escalier d’une douzaine de marches. Les préparatifs duraient plusieurs jours et mettaient en fièvre les internes. Nous avions beau savoir que la tente   et l’estrade étaient utilisées en d’autres lieux pour des usages profanes, tels que le concours agricole et le bal du 14 juillet, aucune pensée frivole, aucun scepticisme ne se glissait  dans notre esprit. J’en rougis rétrospectivement. Mes parents me disaient si souvent :  ‘’Qui ne travaille pas ne mange pas‘’ ; ‘’Les alouettes ne te tomberont pas rôties dans la bouche’’ ; ‘’Si tu n’es pas capable de passer tes examens, tu iras mendier où tu voudras’’, que j’éprouvais un grand respect pour les études, et (j’ai toute honte bue) j’ambitionnais  des succès scolaires.

Au jour dit, vêtus de notre uniforme en gros drap, à boutons dorés, nous prenions place à nos rangs sous la tente, les externes, très élégants, se joignaient à nous, et les parents, fort heureux, s’asseyaient aux places réservées. Tandis que la musique du 94ème régiment d’Infanterie jouait la Marseillaise, le cortège faisant son entrée : les parlementaires du département, en habit avec leur écharpe ; parfois Mr. le Recteur, Mr. le Préfet, son secrétaire général et ses conseillers de préfecture, Mr. le Maire, Mr. l’Inspecteur d’Académie, Mr. le Proviseur ; des magistrats, des officiers, des anciens élèves plus ou moins illustres ; enfin la théorie des professeurs, en robe, toge, rabat, épitoge. Tout ce monde doré, brodé, paré, décoré, panaché, enjuponné, nous renforçait dans la conviction que la société honore le travail et le savoir. Il m’a fallu quelque temps pour apprendre qu’elle respecte l’argent bien davantage.

Assurément c’était un grand jour. Nous écoutions avec respect le discours d’usage et faisions un succès de cris et des trépignements aux professeurs que nous aimions.   La réponse du président nous paraissait longue. Puis venait le palmarès que lisait  Mr. le Censeur. A l’appel de leur nom les élèves élus se levaient, escaladaient l’estrade  accompagnés d’un surveillant porteur des livres et recevaient leur récompense des mains d’un notable. La montée des prix d’excellence était saluée par trois mesures d’une fanfare glorieuse, et leur dignité s’en trouvait beaucoup grandie. Je fus embrassé plusieurs fois par Mr. Maginot et par Mr. Poincaré. Mr. Poincaré me dit : ‘’Continue à bien travailler, et nous ferons quelque chose de toi’’. Mr. Maginot : ‘’Très bien, ton père sera content’’. Retournés à notre place, rouges d’orgueil et de confusion, nous faisions l’inventaire de nos richesses. La mode des reliures surdorées était finie. Nos livres étaient fort bien choisis. Je reçus en philosophie les œuvres complètes de Taine ; de là vient sans doute l’attachement que je lui ai gardé.

Je suis retourné une fois à mon lycée pour la distribution des prix. C’était moi  qui présidais. La cérémonie avait lieu dans une salle municipale ; les professeurs n’avaient pas de robe ; je n’avais pas mon uniforme ; Mr. le Préfet non plus ; les parlementaires  ne s’étaient pas dérangés ; il n’y avait plus de musique militaire ; je fis un discours quelconque, et, sans les jeunes, qui sont le printemps de la nation, en dépit d’un accueil affectueux, je serais parti fort mélancolique. On ne devrait jamais retourner aux lieux de son enfance. »

Pierre GAXOTTE de l’Académie Française

( texte reproduit en grande partie dans son livre de souvenirs « Mon village et moi »)

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