André Theuriet, le charme discret

André Theuriet fut l’une des gloires de Bar-le-Duc à la fin du XIXe siècle. Ecrivain reconnu nationalement, et même célèbre, il fut membre de l’Académie française. Aujourd’hui, à peu près oublié du panthéon littéraire, il demeure dans les mémoires barisiennes grâce à… sa rue et son collège !

Né en 1833 à Marly-le-Roi, d’un père bourguignon et d’une mère de Bar-le-Duc, il rejoint notre ville à l’âge de cinq ans lorsque son père y est nommé receveur des Domaines.

Enfant et adolescent, Il est inscrit à la bibliothèque de la ville dont les archives attestent, paraît-il, que ses préférences vont en matière de prose à Mérimée, Vigny, Balzac, et en matière de poésie à Hugo, Musset, Vigny, Lamartine : rien d’extrêmement original. Il fait son entrée en 1843 au collège Gilles-de-Trèves : le Lycée Impérial n’existe pas encore puisqu’il ne sera créé que quatorze ans plus tard ! Bizarrement, il sera pourtant le 3e Président de notre Association des Anciens Elèves, alors qu’il n’a pu matériellement y être élève : il faut croire que l’Association, lors de sa création en 1869, a « récupéré » aussi les anciens élèves de Gilles-de-Trèves, ce qui, au fond, n’est que justice…

Après des études de droit, il est employé à la direction des Domaines à Auberive (Haute-Marne), puis à Amiens, puis à Paris au Ministère des Finances. Il commence à publier des poèmes et des nouvelles dans la Revue des Deux Mondes ; ensuite viendront les romans. À la guerre de 1870, il participe à la bataille de Buzenval.

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En 1880, il épouse Hélène Narat, veuve du peintre Gabriel Lefebvre, un artiste renommé sous le Second Empire. D’après François Carez, c’était « une jeune fille charmante qu’il avait chantée — en amoureux rossignolant — dans le Livre de la Payse ». Amoureux rossignolant !  

Installé à Bourg-la-Reine, dont il devient maire de 1894 à 1902, il est élu membre de l’Académie française en 1896, au fauteuil d’Alexandre Dumas fils, et il y est reçu par l’écrivain Paul Bourget. Il est également membre de l’Académie Stanislas de Nancy.

André Theuriet est un écrivain qui chante les terroirs, les forêts, les petites villes bourgeoises avec une étonnante facilité à communier avec tous les pays où le mène sa profession. Ainsi, il publie de nombreux romans dont l’action se déroule à Bar-le-Duc, en Argonne, dans la Haute-Marne, en Touraine, et dans le Poitou ; partout on le considère comme un homme du pays. Outre ses romans dont beaucoup seraient qualifiés aujourd’hui comme « du terroir », il est aussi connu comme poète, chantant la nature.

Disons-le, André Theuriet n’est pas le roi de l’innovation littéraire, bien qu’il soit le contemporain de Flaubert, Lautréamont, Jarry, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé et bien d’autres. L’intrigue de ses romans est conventionnelle, un moralisme petit-bourgeois s’affiche, les stéréotypes ne sont pas évités. La modération politique et sociale prévaut. La vie à Bar-le-Duc est réglée comme du papier à musique, convenable, respectueuse de l’ordre, « honnête ». Il est difficile de savoir s’il met de l’ironie dans ces évocations d’une préfecture de province qui ne cherche pas les histoires. Peut-être que oui… Et cependant, ou peut-être justement à cause de ces caractéristiques si convenues, il émane de ses romans un charme indéfinissable, celui qu’on éprouve à ouvrir de vieux albums photos. Theuriet est désuet, parfois même il prête à sourire mais c’est pour cela qu’on peut, en notre XXIe siècle, le redécouvrir avec bonheur. C’est aussi, et surtout, parce que la nature n’est jamais absente de ses romans, chantée avec un lyrisme discret, si on peut oser cet oxymore ; académisme certes, encore une fois Theuriet n’est pas Rimbaud, mais diffusant une tangible proximité avec les arbres, les champs et les paysages.

Quelques poèmes de Theuriet étaient encore en vogue dans les années soixante, où ils faisaient partie des poncifs des écoles primaires (au moins à Bar-le-Duc !). Poncifs ? Certes, mais écoutons ceci, extrait de son « tube » le plus célèbre (et le moins compliqué !) dont on fit même une chanson :

Brins d’osier, brins d’osier,

Courbez-vous assouplis sous les doigts du vannier.

Lorsque s’empourpreront les vignes à l’automne,

Lorsque les vendangeurs descendront des coteaux,

Brins d’osier, vous lierez les cercles des tonneaux

Où le vin doux rougit les douves et bouillonne.

Brins d’osier, brins d’osier,

Courbez-vous assouplis sous les doigts du vannier.

Et puis… quel autre écrivain a chanté les charmilles de la Chalaide et le Haut-Juré ? Relisons le début de son roman Boisfleury, l’un de ceux, nombreux, qu’il consacra à Bar-le-Duc (déguisé sous le nom de Juvigny) et au Barrois, celui dont le titre devint le nom de sa villa de Bourg-la-Reine :

« Je suis revenu pour vingt-quatre heures dans ce pays du Barrois, qui a été le mien jusqu’à ma vingt-troisième année. J’y voulais revoir un coin de bois où, en compagnie de quelques amis, j’ai vécu une vie de jeunesse, joyeuse, enthousiaste et tendrement inquiète. – Par une après-midi mouillée du commencement de novembre, j’ai gravi la chalaide qui serpente entre les vignes, dont la pluie détrempait l’argile rouge et grasse. Arrivé au sommet de la colline, j’ai cherché le taillis, clos de haies vives, où une sinueuse allée de sapins s’enfonçait parmi des saules et des cytises… Tout a disparu. Sur le plateau dénudé, à la place où frissonnaient les frondaisons légères de « Boisfleury », des champs de betterave couvrent maintenant le sol de leurs lignes régulières aux plates végétations. Il n’y a plus trace des allées fleuries de sauge et d’origan, ni des pelouses étoilées de coquelicots, ni des couverts où chantait la grive…

Je me suis assis sur l’une des bornes qui marquaient l’entrée du domaine et qui se sont usées chaque jour sous le heurt des charrettes. Je voyais, de l’autre côté de l’étroite vallée, s’arrondir sur l’horizon gris la croupe rougeâtre des vignobles de Sainte-Catherine, et un peu vers la droite, surgir les clochetons d’une église. La petite ville elle-même, couchée au bas de la côte, ne révélait son existence que par de flottantes vapeurs bleuâtres, par de sourdes rumeurs entrecoupées de quelques sonneries de cloches. Le crépuscule tombait du ciel bas et mêlait son ombre aux bruines épaissies. Les coteaux fumeux, la plaine solitaire, les vignobles où se tordaient les ceps noueux et noirs, m’apparaissaient maintenant comme au travers d’un rêve. Peu à peu, sous les brumes accrues, je perdais le sens du réel et la notion des années. »

Il y a, dans cette mélancolie champêtre, quelque chose comme un écho du Nerval de Sylvie… Moins bien que Nerval, certes, mais à Bar-le-Duc, alors…! Sans compter l’écho du passé qu’il nous renvoie et qui nous aide aujourd’hui à imaginer notre pays il y a cent cinquante ans. Bar-le-Duc entouré de vignobles sur ses deux coteaux… Ceux-ci, plus tard, remplacés par les horribles betteraves… Nous n’avons plus de vignobles mais au moins, les betteraves n’auront été que des occupantes éphémères de la Chalaide !

Ne serait-ce pas dommage de l’oublier encore plus, notre vieil André Theuriet ?

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