Juliette Morillot, coréanologue

Intervention de Juliette Morillot, ancienne élève du Lycée, spécialiste de la Corée, à l’Assemblée des Anciens Elèves du 22 octobre 2000

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Je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui. Avant de vous parler de la Corée je voudrais dire que j’ai d’excellents souvenirs du Lycée de Bar-le-Duc. Je suis restée sept ans au Lycée, mais j’ai des souvenirs particulièrement chaleureux des années finales, de la seconde à la terminale. Ces quelques années ont été très marquantes : le Lycée de Bar avait été nommé « Lycée Pilote » en offrant à chacun un vaste choix. Si j’ai eu de bonnes notes au bac, c’est que j’ai pu accumuler toutes les matières (latin, russe, musique) que j’avais étudiées. On pouvait tout ajouter. C’était vraiment un bac à la carte.

On pouvait faire plusieurs langues à la fois, trois, voire quatre. Et j’adorais les langues. Outre l’anglais, j’ai pu étudier l’allemand, démarrer l’italien en terminale, et poursuivre le latin. (…) Lycée Pilote également, parce que le lycée avait été nommé « Lycée Sports-Etudes ». A l’époque, il n’y avait que deux lycées de ce type en France: Font-Romeu pour les sports de glisse et Raymond-Poincaré pour l’athlétisme. Le gymnase était, disait-on, le plus beau gymnase de France. Quand je pense aux installations que j’ai connues, parquets splendides, et surtout à toutes les disciplines sportives que j’ai pu pratiquer, j’en suis encore impressionnée. Contrairement peut-être au souvenir que beaucoup d’entre nous avons, du style course d’endurance en survêtement autour de la cour, j’ai eu la chance d’avoir accès à toutes les disciplines sportives. (…) J’avais des professeurs de haut niveau qui étaient censés enseigner à nous tous, mais aussi à de futurs champions de France. J’avais avec moi deux filles championnes de France du 100 mètres.

(…) Après le lycée, je suis allée faire une hypokhâgne à Paris au Lycée Henri-IV avec en tête… une tradition familiale un peu lourde: ma mère, vous le savez, a enseigné au Lycée comme professeur d’anglais, mon frère ici présent est lui-même professeur d’anglais, son épouse est professeur d’anglais, ma sœur est professeur d’anglais, j’étais moi-même très bonne en anglais: Concours général d’anglais… J’avais envie de faire du russe mais mon père parlait le russe! Or je voulais qu’on me laissât tranquille! J’ai donc choisi la langue la plus lointaine qui existât: le coréen. J’aurais aussi bien pu choisir le quechua, qui est enseigné à quelques étudiants à Langues-O. Ce n’est donc pas une passion pour l’Asie qui aurait été la mienne depuis ma plus petite enfance, mais une passion qui est née assez tard.

(…) La Corée était très peu connue à cette époque – elle l’est toujours – il y avait très peu de spécialistes, donc il y avait une place à prendre, que j’ai prise… A cette époque il n’y avait aucun livre sur la Corée hormis un ou deux guides. Tout était à faire. Cela a un côté très pionnier, avec toutes les découvertes à faire, avec ce que cela comporte également d’écueils, puisque, quand on démarre dans un domaine pour lequel il n’y a pas d’écrits, c’est très, pardonnez-moi l’expression, « casse-gueule ». Le premier à dire une bêtise ne peut être que soi… Alors, pourquoi la Corée? Tout simplement parce que la Corée, ce n’est pas du tout l’Asie telle qu’on l’imagine.

Quand on pense à l’Asie, on pense à la Chine. Je caricature: un monde de dragons, fabuleux, avec de l’encens, Tintin et le Lotus Bleu… On évoque aussi le Japon, son côté zen, parfait, épuré, fait de courbettes… Les Coréens, c’est tout le contraire. Ils sont désordonnés, brouillons, capables d’être de mauvaise foi, capables d’être passionnés. Ils sont pleins de vie. Ce sont en quelque sorte les Latins de l’Extrême-Orient! Du point de vue des origines, le peuple coréen n’a rien à voir, de par sa langue et ses racines, avec ses énormes voisins. La langue coréenne n’est pas du tout comme on l’imaginerait, proche du chinois ou du japonais, mais elle est beaucoup plus proche du finlandais, du turc ou du mongol. (…) La langue, les traditions, les coutumes sont beaucoup plus proches de celles qu’on trouve en Mongolie et en Sibérie que de celles qu’on observe en Chine. Enfin, d’un point de vue physique, les Coréens ne ressemblent pas aux Japonais ni aux Chinois. Bien sûr, l’idée de race pure est très délicate, mais schématisons: les Coréens sont grands, ils ont des pommettes très hautes, un peu à la Mongole, comme les Esquimaux, et la peau très blanche; les cheveux ne sont pas noirs mais d’un marron foncé.

(…) Pris en tenaille entre l’énorme empire chinois et le puissant empire japonais… il y a un proverbe qui se répète à travers le pays: « Quand les baleines se battent, les crevettes ont le dos rompu ». La crevette, la Corée, a eu le dos rompu pendant des années. Presque toutes les guerres que la Corée a subies étaient des guerres entre la Chine et le Japon, qui se déroulaient… sur territoire coréen. La guerre de Corée n’était pas du tout une guerre entre le Nord et le Sud du pays, mais de façon interposée entre, d’un côté, le bloc chinois et l’URSS pour simplifier, de l’autre, les Etats-Unis. Tout cela a fait qu’au cours des siècles, les Coréens, et ce n’est pas une figure de rhétorique, ont développé un caractère extrêmement indépendant, farouche, violent qui peut aussi expliquer le fameux miracle économique.

(…) Il faut savoir que la paix n’a toujours pas été signée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Certes il y a eu des pas exceptionnels depuis la fin de la guerre. Mais les deux Corée ont été complètement séparées… Quand on est à la DMZ, frontière entre le Nord et le Sud le long du 38e parallèle, on entendait encore il y a peu les hauts-parleurs du Nord qui vous annonçaient que la vie y était un paradis, paradis que l’on voyait très bien à travers des jumelles, avec ses gens trop bien habillés, depuis la frontière. Les gens du Sud envoyaient aussi leur propagande au Nord. Guerre de propagande, guerre d’escarmouches souvent violents, familles séparées. Mais ces familles séparées, pour la jeunesse actuelle, ce sont plutôt des photos jaunies dans des albums… [Les jeunes] n’ont pas envie d’une réunification, sinon sur le plan de la fierté nationale, mais pas du tout sur le plan personnel ni humain; cela ne représente strictement rien pour eux.

(…) Cette connaissance que j’ai de la Corée se situe à plusieurs niveaux: universitaire d’abord, car j’ai enseigné à l’Université Nationale de Séoul; j’ai enseigné aussi à l’Alliance Française de Séoul… [Par la suite] j’ai voulu quitter le domaine purement lettré des sphères universitaires… J’ai quitté le pays, j’ai quitté mon poste de professeur. J’ai vécu alors dans divers milieux: dans des bidonvilles où j’ai appris à me lever quatre fois pendant la nuit pour changer les briquettes de charbon de bois des fours à « yon t’an ». Il y avait des rats qui couraient dans la cuisine; tous les matins, en hiver, je cassais la glace… J’ai attendu ainsi d’être acceptée, sans mentir sur mes motivations, pour gagner leur respect: il faut respecter ce que l’on est en respectant ce que l’autre est. Ne pas s’imposer. Attendre que l’on vienne à soi. J’ai pu vivre dans des milieux de lépreux, dans des maisons de kisaeng: ce sont l’équivalent des geishas japonaises. J’ai donc vu la Corée, celle qu’on ne montrait pas. J’ai pu vivre également dans des temples, travailler dans des usines, des rizières, et attendre chaque fois d’être complètement acceptée. Avec ces deux expériences, celles de lettres et celle du terrain, j’ai pu écrire plusieurs livres: un roman, car j’ai toujours aimé écrire, même au Lycée où j’étais intarissable en français! Outre un roman historique sur la dernière reine de Corée, j’ai écrit d’autres livres sur la Corée.

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[Nota de 2019: depuis cette intervention au Lycée en 2001, Juliette Morillot a écrit d’autres livres encore, et est devenue plus encore qu’auparavant une experte reconnue de la Corée, une « coréanologue ». Elle intervient fréquemment sur ce thème à la télévision.]

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